La prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars

 À offrir à un rêveur qui a soif d’aventures

Au rythme saccadé du transsibérien, rythmé par des allitérations qui sifflent les roulements du train, Cendrars façonne le conte d’un poète en train de se créer, un chant d’adieu cruel à l’enfance. Le décor, la Russie prise dans les feux de la révolution de 1907, fait écho à l’ardente adolescence du narrateur, sur laquelle souffle un vent de liberté. « Moi le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout ! ». Engagé par un bijoutier pour l’accompagner en Sibérie, le jeune narrateur raconte les paysages russes qui défilent et son propre univers qui se disloque sous les à-coups du train: « Le monde s’étire, s’allonge et se retire comme un accordéon qu’une main sadique tourmente ». Il évoque aussi la sexualité, avec « l’épatante présence de Jehanne », jeune prostituée dont la petite voix inquiète rappelle régulièrement que l’on est bien loin de Montmartre.

Dans ce long poème en prose, Cendrars, à 26 ans, invente un genre nouveau. Il sort des carcans poétiques établis pour créer un bouquet de sensations intenses : le rythme, la musique des mots qui miment le son du train (le poème est d’ailleurs dédiés à tous les musiciens), mais aussi les images suscitées par des suites de mots, des « images-associations ».

« Autant d’images–associations que je ne peux pas développer dans mes vers,
Car je suis encore fort mauvais poète
Car l’univers me déborde
Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemins de fer
Car je ne sais pas aller jusqu’au bout
Et j’ai peur »

Cendrars donne ici sa propre définition de la poésie et d’un bon poète, celui qui va jusqu’au bout, et propose une œuvre totale. Terrain d’expérimentation, la prose du transsibérien, illustrée par l’artiste d’origine ukrainienne Sonia Delaunay, c’est la poésie et la novation artistique en marche. Une poésie moderne, simple, belle et immédiate.

JM